Festival de Morzine 2015 – ou l’on récolte le fruit mûr du bouche à oreille

Il y a trois mois mon copain joueur Julien me demande si ça me dit de faire le tournoi de Morzine. Je n’en ai jamais entendu parler mais pourquoi pas. Ca fait déjà un fort joueur!
On réserve le train pour Genève où on vient nous chercher, lui est « invité » (comprendre : appartement pour les titrés) et je peux en être. Allons-y!

Début juillet nous voilà à trois engagés dans ce tgv qui dévale la France sans en avoir l’air. Un copain de Julien s’est greffé. Entre temps, on aura pris le temps de regarder la liste des inscrits au tournoi « principal ». Sa moyenne sur le papier est à peu près à 2260.
Des titrés à la pelle. Bulgares, Russes, Biélorusses, Serbes, Français… Et quelques légendes!… Lalic, Epishin, Petkov… Des noms qui résonnent comme des noms anciens de cours de Ratko à la belle époque…

On apprend assez vite qu’il y a un problème avec « les Bulgares ». Ceux-ci se sont vu retirer la combine d’après laquelle ils doivent payer trois francs six sous leur billet d’avion. Il y aura six ou sept joueurs en moins. Au total, le tournoi maître comptera 21 joueurs.
Avec 21xx, je suis dans le dernier quart…

Quand on arrive sur les lieux des crimes à venir, il est 22 heures. Il fait un froid de montagne, l’air est très sec mais c’est extrêmement agréable. Depuis Genève on les aura attendues longtemps ces montagnes, cet air prétendument pur et le toutim. Les parisiens ne croient pas trop aux légendes des pays des Dahus. J’ai vu de mes yeux vu!

La ronde 1 commence le lendemain de notre arrivée. Je dois jouer avec les noirs contre un certain Kasparov, Sergey, le « moins bon des deux », GM. La secousse! C’était prévu et ça faisait déjà marrer des petits malins. On y est.

J’avais déjà une petite idée sur le fait que jouer un GM serait quelque chose d’intimidant. On imagine bien que le coup qui arrivera pendant les 5 minutes d’absence se paiera cash. Une grande bagarre s’ouvre. 6 h et 0 points, c’est mal payé.
Il joue un peu à toute allure, et des bons coups. Quand il réfléchit 20 minutes, on aimerait être dans la petite chaîne de pensée comme un contremaître, pour scruter les coins et les recoins des variantes qui nous auront nécessairement échappées, qu’on aimerait voir pour les éliminer, pour s’en vouloir d’avoir réfléchi à cette suite de coups qui n’était pas pertinente, pour ce spectacle qui n’en était finalement pas un.

Sur l’estrade, les stars. Vladimir Epishin et un GM Hongrois du nom de Imre Balog, né en 1991, s’annoncent d’ores et déjà comme les requins du tournoi. C’est sans compter sur un MI de la région, Melkior Cotonnec, pour saper net les velléités du russe vociférant à la 1. Les cartes sont -déjà- à rebattre.

Sans faire trop dans le détail, on est à Avoriaz (nom de la station de ski, Morzine étant la même ville mais à 1800 mètres en dessous) au spectacle. On entend du russe, du croate, du serbe, du biélorusse, ça jure ça fume ça rigole, ça suspecte… Il y en a pour tout le monde. Il a été très facile de discuter avec Lalic par exemple, qui vous montre sa partie comme si vous vous connaissiez depuis longtemps. Il est effaré de voir que les français jouent pas si mal. Il les respecte bien sûr. « Dans le temps vous jouiez un coup comme ça on mettait deux points d’exclamation et on disait « Fischer! Kasparov! Maintenant ce sont les 2100 qui jouent comme ça! Incroyable! C’est comme ça que j’ai perdu 100 points! Ah! »

La théorie générale -vérifiable- pour ces forts joueurs, pour jouer contre les jeunes, la voici:

-Ils connaissent la théorie très très bien. Ah! Ces fichus ordinateurs!
-Emmenez-les en finale, et là, c’est une catastrophe.

Votre humble narrateur en aura certainement fait les frais contre Kasparov.

Sur l’estrade, dans l’Olympe, ça se bagarre. Les premiers échangeront le maillot jaune plusieurs fois. Il ira de Nikita Maiorov à Imre Balog, frôlera les épaules de Shirazi pour finir à trois étapes de la fin sur celles de Jonathan Dourérassou, qui ne lâchera plus rien.

Je note pour ceux qui seraient sceptiques qu’il est possible à la montagne de faire autre chose que des échecs. On aura joué au ping pong, au bowling, au saucisson et à la bière aussi. Certains plus que d’autres.

A retenir de ce tournoi que les échecs sont vraiment un jeu de rêve. J’aurai pu voir des costauds en action toute la journée, faire des choses qui paraissent un peu de la magie noire, me les faire expliquer parfois, me les repasser comme un vieux film dans une langue étrangère souvent et longtemps ensuite, sans vraiment comprendre… Pour tous ceux qui auraient envie de passer des vacances dans un cadre de rêve et -accessoirement- de faire un tournoi d’échecs TRES relevé, Morzine s’imposera à vous comme une évidence.

Au bout de neuf jours lessivé, je suis sorti tel un Socrate en haillons, m’apercevant avec joie que tout ce que je savais des échecs, c’est que je ne savais rien.

Mille fois merci aux organisateurs du tournoi, à tout le « staff » qui a veillé au bon déroulement de tout, ainsi qu’à Maître Song!

Paul

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