V) L’hégémonie soviétique (1948-1969)
Là encore, un tableau nous aidera à bien comparer la période entre Echecs et Dames:
Il semblerait à première vue que cette période comporte moins de similitudes (entre les deux jeux), que les autres. Dix titres de champions du monde aux Echecs contre seize aux Dames. Mais ceci s’explique simplement par l’abolition, aux Echecs, du match-revanche à l’issue du duel Botvinnik-Petrossian, en 1963.
Le champion du monde conservant son titre trois ans d’office, à partir de cette date, deux titres seront décernés aux Echecs contre six aux Dames jusqu’ en 1972. C’est ce qui explique cette différence « visuelle ». Autre différence, l’entrée en lice des soviétiques en 1958 aux Dames, avec Kouperman, dix ans après les Echecs. C’est là en effet une dissemblance. Cela tient du fait de la popularité supérieure des Echecs sur le Jeu de Dames International (si l’on ne tient pas compte de toutes les formes de Jeu de Dames pratiquées dans le monde), car même si ce deuxième s’est «mondialisé» surtout en 1952 avec l’arrivée notamment du Canada, de l’Afrique du nord et de la Chine (!), le jeu d’Echecs reste prépondérant, et chronologiquement en avance. Ainsi, malgré cela, cette période verra cinq champions du monde aux Echecs, et six aux Dames, c’est-à-dire quasiment le même nombre…
Mais le plus singulier en cette hégémonie soviétique, réside dans le profil psychologique des joueurs qu’elle a produit. Deux exemples éclatants: premièrement, le style de Botvinnik est tout à fait comparable à celui de son homologue Roozenburg. Tout deux titrés après-guerre, cinq titres pour le soviétique, quatre pour le néerlandais, ce profil se caractérise par une compréhension profonde de la stratégie, un mode de raisonnement scientifique, et une grande rigueur dans la sélection des coups s’articulant autour d’un plan de jeu. Sans compter ce que l’un, comme l’autre, ont laissé à la théorie. Deuxième exemple, Tal, «le magicien», trouve lui aussi son égal, en la personne de Baba Sy. Talent naturel, pragmatique, virtuose du jeu tactique, ses parties, comme celles de Baba Sy, sont des orgies de sacrifices spectaculaires et flamboyants. Il ne fut qu’une fois champion du monde, comme son équivalent. Ainsi, les deux types extrêmes de joueur seront engendrés en cette période. Le méthodique, besogneux, scientifique, théorique, et son opposé, l’exubérant, l’empirique, l’étincelant, le tactique. A croire qu’une période génère, naturellement, un, ou des types particuliers de joueurs, quelle que soit la discipline. Les causes sont-elles sociologiques? Le lecteur se forgera sa propre opinion….
Cette ère connut, elle aussi, des joueurs ambivalents. Moins connu que Philidor ou Ghestem, Rashid Nezhmetdinov (1912-1974), la représente pourtant dignement. Génial tacticien, Nezhmetdinov pratiquait le Jeu d’Echecs, et le Jeu de Dames international sur 64 cases, dont les règles ne diffèrent aucunement de son alter ego sur 100 cases. La différence théorique entre les deux disciplines réside uniquement dans la proportion stratégie/tactique. Il est en effet avéré que, moins il y-a de cases, plus la part stratégique sera dominante. Plus il y-aura de cases (Jeu International sur 100 cases, mais aussi Jeu de Dames Canadien sur 12*12, c’est-à-dire 144 cases), plus la part de combinaisons sera présente. Le parallèle est d’ailleurs valable entre les Echecs et le Jeu de Dames International, le rapport entre variantes stratégiques et tactiques donnant la prépondérance à la stratégie aux Echecs, à la tactique aux Dames. Nezhmetdinov pratiqua les deux activités à haut niveau. Une savoureuse anecdote le raconte admirablement: en 1950, il remporte le championnat de Russie d’Echecs (RSFS, qu’il remportera également en 1951, 53, 57 et 58), après s’être qualifié pour les finales du championnat de Russie de Jeu de Dames international 8*8, remplaçant au pied levé un des participants forfait, alors qu’il n’était que spectateur! Il finira deuxième de cette épreuve! Attaquant de génie, il fut la terreur des champions du monde, contre qui il a, en vingt parties, un score positif. Tal lui-même, admiratif après plusieurs défaites contre le prodige tatar, le prendra comme entraîneur dans la préparation de son match contre Botvinnik.
Rashid NEZHMETDINOV, virtuose tacticien, pratiquait les Echecs et le Jeu de Dames sur 64 cases.
«Rashid Nezhmetdinov est un virtuose du Jeu d’Echecs combinatoire» David Bronstein
«Personne ne voit les combinaisons comme Rashid Nezhmetdinov» Mikhaïl Botvinnik
Pour conclure ce cycle, l’hégémonie soviétique sacrera son sixième champion du monde, (septième aux Dames), en la personne de Botvinnik (Roozenburg). Elle sera marquée par une domination exclusive des soviétiques aux Echecs, moins aux Dames, dont la «mondialisation» se produit plus tardivement. Cet engouement découle d’un propagandisme frénétique des autorités, voyant en l’avènement de Botvinnik, et des champions soviétiques échiquéens et damistes en général, celui de la «culture socialiste, culture dont les Echecs font partie intégrante», dixit la «Pravda» en 1948. L’intelligentsia des Echecs soviétiques ne reconnaîtra la valeur des joueurs occidentaux qu’après la mort de Stalline. Des profils psychologiques semblables émergeront de cette étape de l’histoire dans les deux domaines, en Botvinnik et Roozenburg pour le côté scientifique, et Tal et Baba Sy pour le côté empirique. La toute puissance de l’URSS se traduira autant aux Echecs qu’aux Dames, même si ce dernier évolue sous différentes formes, développant son propre Jeu International sur 64 cases….. En Union Soviétique! Un pratiquant de génie fera trembler les meilleurs joueurs de Russie et du monde dans les deux jeux: Rashid Nezhmetdinov.
à suivre
Note de l’auteur : on nous a fait remarquer un certain nombre d’imprécisions, voire, en quelques endroits, d’erreurs. La version définitive « d’Echecs et Dames .. » , corrigée, et par ailleurs augmentée, fera l’objet d’une édition papier et d’une nouvelle publication sur le site.