L’homme sans visage ….ou presque….ou bien aux multiples visages ?
Alexandre Louis Honoré Lebreton Deschapelles
Né en 1780 à Ville d’Avray et décédé à Paris en 1847, Deschapelles fut considéré comme le meilleur joueur d’Echecs au monde entre 1815 et 1820, succédant ainsi au joueur français Philidor (1726/1795) et précédant deux autres joueurs français: Labourdonnais (1795/1840) et Saint-Amant (1800/1872).
Jusqu’à peu il n’y avait aucune représentation connue de ce joueur !
L’auteur allemand Robert Czoelner (né en1954) en a retrouvé une dernièrement chez les descendants autrichiens de la famille de Deschapelles.
La vie de Deschapelles fut des plus étonnante !
Issu de la noblesse, logeant dans son enfance au château de Versailles, son père étant employé au service du roi Louis XVI (1754 / 1793). Ce même roi de France qui autorisa son employé à donner en second prénom à son fils celui de Louis.
Affublé d’un si royal symbole notre futur joueur d’Echecs adopta……. les idées de la révolution !
La période de la Révolution :
Le départ forcé de sa famille (nombreuse: ses parents ayant eu 18 enfants ! si l’on se réfère à Robert Czoelner) pour l’étranger lors de la Révolution fit qu’il dut s’assumer seul. L’un de ses frères resté comme lui en France mais déserteur de l’armée de la République puis membre de celle du général contre révolutionnaire Stofflet (1753/1796) fut fait prisonnier, condamné et fusillé. Fidèle à ses convictions Deschapelles s’enrôla donc dans les troupes républicaines et participa en 1796 à la bataille d’Ettlingen (aussi appelée bataille de Malsch) au cours de laquelle 36000 français affrontèrent sans succès 45000 autrichiens. Il a alors seulement 16 ans et perd sa main droite tranchée d’un coup de sabre porté par un dragon autrichien.
L’Empire :
Poursuivant sa carrière militaire dans les services administratifs il est fait prisonnier en mars 1809 à Villafranca del Bierzo lors de la campagne d’Espagne et sera transféré sur les sinistres pontons anglais de Cadix. Ces prisons flottantes ou, par bateau, plus d’un millier de soldats français s’entassaient dans la promiscuité, l’insalubrité en disposant de trop peu de nourriture. Il s’en évadera en mars 1810.
Il se distinguera également lors de la phase finale de l’Empire, la période dite « des Cent-jours », en organisant un corps de partisans dans l’est de la France, partisans en charge de freiner l’avancée des « coalisés ».
La Restauration :
Après la chute de l’Empire il se retrouva sans ressources. Saint Amant le décrivant comme « un citoyen de Sparte » satisfaisant ses modestes besoins avec des « expédients » comme des parties d’’Echecs payantes mais aussi la culture et la vente de melons qu’il faisait pousser dans des serres situées au cœur de Paris.
Un personnage sûr de lui…
Le même Saint Amant raconte comment Deschapelles se vantait d’avoir appris les Echecs en 1798, en entrant par hasard dans le café Morillon à Paris. Dans ce café jouait un élève de Philidor nommé Bernard (?? / ??), l’un des plus forts joueurs de l’époque. Deschapelles disait avoir appris les règles du jeu le premier jour, avoir défié Bernard et perdu deux parties sur deux le deuxième jour, puis avoir gagné toutes les parties sauf une le troisième jour. Il disait même l’avoir vaincu en lui donnant l’avantage d’un pion et de deux traits ! Après avoir dominé les Echecs en trois jours, il ajoutait: « Depuis cette époque, je n’ai fait aucun progrès et ne pouvais pas en faire. En trois séances au plus, et j’en juge d’après ce qui m’est arrivé, on doit savoir aux Echecs tout ce qu’on peut y apprendre et y devenir ».
L’anecdote illustre à elle seule la psychologie particulière de Deschapelles qui avait pour le moins une haute opinion de lui-même.
… Très sûr de lui…
Saint-Amant écrit que lorsqu’il [Deschapelles] parlait: « C’était la dernière conversation de Socrate (467 av JC / 399 av JC) avec ses disciples par le recueillement et la soumission avec laquelle il fallait écouter. Le moindre mot, la plus légère observation, il s’arrêtait, et ne reprenait pour continuer, que lorsque le silence était revenu. En général on ne discutait pas avec Deschapelles, il aurait fallut se fâcher »
Lorsque Deschapelles disait « que les grands joueurs d’échecs ne pouvaient venir que du Midi, de là où le soleil échauffait les imaginations ». Labourdonnais marmonnait timidement que Philidor était de Dreux, et que lui était né à Saint-Malo. « Pures exceptions ! » ajoutait alors Deschapelles sur un ton qui coupait court à tous propos contradictoires. Mais, lorsque Labourdonnais racontait ces paroles sentencieuses loin de son illustre maître, il ne manquait jamais d’ajouter, au milieu des éclats du rire homérique de ses bons jours, que « parce que M. Deschapelles était né à Versailles, il se croyait du Midi ! ».
…Et de l’avis des anglais :
Un avis intéressant… bien qu’en provenance de la perfide Albion…..sur Deschapelles est celui du joueur et secrétaire du London Chess Club le dénommé George Perigal (1806/1855) :
« Mr Deschapelles est le plus grand joueur d’échecs en France, le plus grand joueur de whist, le plus grand joueur de billard, le plus grand cultivateur de citrouilles et le plus grand menteur de France »
….Et pourtant …..
Entre 1815 et 1820 il devint cependant le meilleur joueur au monde, mariant un réel talent pour le jeu d’Echecs et une forfanterie digne du baron de Münchhausen. Le joueur anglais Walker (1803/1879) l’appelait «The Chess King ».
Saint Amant, dans sa nécrologie écrite en 1847, semble en pleine dévotion « …c’est en roi, en pharaon, que nous traiterons notre illustre ami ».
Le changement d’orientation :
Lorsque Deschapelles se retira pour laisser la place (…le trône) à son élève Labourdonnais, ce dernier ne cessa jamais d’appeler Deschapelles « mon maître ». Il est fort probable que Deschapelles, ne pouvant accepter d’être devenu le second, se détourna des échecs pour se consacrer à d’autres activités. Les témoignages de l’époque indiquent que dès qu’il s’intéressait à un jeu il y devenait très fort. Il pratiqua le trictrac (l’ancêtre du backgammon), les dames polonaises et de manière incroyable il devint un bon joueur de billard alors qu’il n’avait qu’une main ! Mais le jeu qui fit sa gloire et sa fortune fut le Whist (l’ancêtre du bridge). En 1839, il publia un « Traité du Whiste » (il avait décidé de franciser tous les termes….et ainsi certainement de reprendre à son compte le terme whiste pourtant déja présent dans la littérature de l’époque ……Albion n’est peut être pas la seule à être perfide ! )
« Traité du Whiste » (La photographie représente un exemplaire de la seconde édition, volume broché, 328 pages, la première édition, datant de 1839, parut chez Furne qui cèda tout son stock à Perrotin en 1840. Les 2 éditions sont absolument identiques. )
3 volumes étaient prévus. Le 1er et le 3ème n’ont jamais vu le jour ! Ils devaient s’intituler Le Compilateur et La Doctrine…Les souscripteurs attendus ne donnèrent certainement pas suite !! Le titre du seul volume publié est « La Législation »
La postérité :
Encore aujourd’hui, les manuels de bridge mentionnent le « coup de Deschapelles ».
Paternité incertaine d’après les experts de ce domaine ! Du vivant de Deschapelles, aucun coup ne portait son nom et que le coup qu’on lui attribue était inconnu ! Le dit coup semble être apparu bien plus tard, vers 1889, aux Etats-Unis, sans doute sur l’initiative de Pettes (??/??), un auteur américain de whist, véritable thuriféraire de Deschapelles, et qui présidait à Boston aux destinées d’un club de whist baptisé évidemment « Deschapelles Club ». Certes Pettes aurait pu à la limite recevoir des confidences de la part de John Rheinart (??/??) , un avocat français naturalisé américain. Avant de s’exiler aux Etats-Unis d’une manière définitive après 1850, celui-ci avait été en effet un élève, puis un partenaire de Deschapelles. Il aurait ainsi eu une grande facilité à noter quelques donnes jouées par Deschapelles et à les rapporter : mais nulle part il ne fait état que son ancien tuteur ait réalisé un tel coup.
Résumons : Pas de paternité certaine de ce coup…. Deschapelles dans toute son incertitude !
Pour les amateurs de cette discipline voici cependant la définition de ce coup:
Le coup de Deschapelles ne doit pas être confondu avec le coup de Merrimac que ce dernier a pour but de détruire une rentrée dans une des mains adverses, le coup de Deschapelles vise à en créer une dans la main du partenaire. Ces deux coups sont très similaires dans leur exécution : on sacrifie un gros honneur pour faire disparaître la carte supérieure dans la main adverse. Dans le coup de Deschapelles, on espère ainsi promouvoir la carte (espérée ou connue) du partenaire, pour lui créer une reprise de main et lui permettre d’exécuter une manœuvre fatale au déclarant (généralement, le défilé d’une couleur affranchie). Après l’entame du R♥, suivi de la Dame et du Valet, pris de l’As, le déclarant joue le V♦. Est est en main à la D♦. Si Ouest a le R♣, le contrat ne devrait pas gagner ; en revanche, s’il a la D♠, le déclarant pourrait réaliser, sur un retour neutre, 3 levées à ♣, 4 à ♦, 1 à ♥ et 1 à ♠. Il faut donc jouer le R♠ (le Coup de Deschapelles) ; même nanti de la D♠ (et sans le R♣), le déclarant est réduit à 8 levées. Lorsque le déclarant cherchera à affranchir son 4e ♣, il sera obligé de passer par une carte d’Est qui pourra alors rejouer ♠ pour la Dame du partenaire et la chute du contrat.
J’avoue: Ce dernier paragraphe me parait obscur ! …il est vrai que je ne connais pas les règles de ce jeu de carte !
Sa dextérité pour distribuer et trier les cartes avec sa seule main gauche était paraît-il impressionnante !
L’engagement politique :
Deschapelles fut actif tout au long de sa vie dans le domaine des idées politiques. A 52 ans Il joua ainsi un rôle important (mais aussi très trouble) dans l’insurrection des 5 et 6 juin 1832 contre la monarchie de juillet de Louis-Philippe (1773/1850). Les experts de cette période débattent toujours de son exact « positionnement ». La question suivante reste sans réponse: Pour qui « roulait t-il » lors de cette période ?: Charles X (1757/1836) ? Les bonapartistes ? Les républicains ? plus probablement un agent double ! Cette insurrection est décrite par le célèbre Victor Hugo (1802/1885) dans le non moins célèbre roman « Les Misérables » (1862).
Les troubles matés, Deschapelles fut brièvement (…..trop peut être) emprisonné puis relâché.
Disparition en 1847 :
Il s’éteint à l’âge de 67 ans.
Il avait demandé dans l’un de ses testaments : « Je désire le convoi et la sépulture du pauvre …… » traduction : la fosse commune. Vœu qui ne fut pas exaucé, car sa compagne fit transférer son corps dans une concession qu’elle avait achetée au cimetière du Père-Lachaise.
Son projet de constitution pour la France fut publié quelques mois après sa mort (1848)
Disparition du joueur d’Echecs le plus emblématique de la période napoléonienne…
Pour cet article j’ai fait usage d’informations en provenance de nombreuses sources :
« Traité du Whiste » de Deschapelles, 2eme edition (1840).
Wikipédia: article sur le coup de Deschapelles.
Site « l’esprit du bridge et du whist » de Philippe Bodard
« The French king of chess » de Robert Czoelner (2011). Livre sur Deschapelles sans égal pour moi !
« Le café de la Régence », tome 1, de Jean Olivier Leconte (2015)
Article de Paul Baudrier – magazine Europe Echecs, n°258, juin 1980
Article de Roland Lecomte- magazine Europe Echecs, n° 97, février 1967.
Philippe Glod
Note : A l’intention de ses élèves du mercredi, des adultes, que le talent de leur professeur rend aussi friands d’anecdotes historiques que de méthodes échiquéennes, Philippe Glod, ouvre sa bibliothèque et nous fait partager sa passion pour de petits ou grands personnages, des sujets liés au jeu avec des liens surprenants. Grâce au professor, les Echecs élargissent leur territoire et des noms qui nous disent quelque chose prennent vie. Aventures humaines ou domaines variés, les Echecs n’ont pas fini de nous surprendre… Aujourd’hui Deschapelles, hier Saint Augustin, Echecs et poésie : voici les notices de Pipou. le S