Peut-on battre Magnus Carlsen ?

Les spéculations vont bon train, et vont probablement pouvoir continuer d’aller un certain temps. Nouveau Champion du Monde après avoir battu Anand assez facilement (+ 3=7, dont deux victoires avec les noirs dont une avec la Berlinoise !), on est en droit de se demander comment, alors qu’il se moque à peu près des ouvertures et dit seulement vouloir atteindre des positions jouables, il est possible de déboulonner un jour Carlsen. Si certains ont pu dire de lui que ce handicap viendrait un jour à ternir son talent universel, il a su assez nonchalamment leur prouver le contraire, voire dire sans crainte qu’il était actuellement le meilleur joueur du monde (des paroles que sous leurs règnes respectifs Messieurs Fischer et Kasparov prononçaient sans gène).
L’une des particularités de Carlsen est que ses collègues le qualifient « d’injouable ». Alors, puisque ça n’est jamais après le quinzième coup qu’il est largement devant du fait d’une préparation tonitruante et d’une compréhension plus aigüe des ouvertures que les autres –on peut même dire sans mal que Kramnik, Aronian ou Topalov sont dans leurs grands jours 1000 elo meilleurs que lui- on a du mal à voir d’où il puise ses ressources, et comment il peut se permettre de finir le dernier tournoi de Wijk An Zee (ex Corus) à +7=6. Eh bien, le problème est bien là.

Refus de la nulle

On a vu au cours du match que Carlsen jouait pour gagner, avec les deux couleurs. Lors de la troisième partie où il a les blancs, une Réti où d’entrée de jeu Anand égalise, voire manque peut-être de prendre un peu l’avantage, la partie évolue vers une finale dame et fou contre dame et fou de couleur opposée et 3 pions sur la même aile, sans rois exposés. Nulle, me direz-vous. Anand propose la nulle autour du quarantième, Carlsen refuse. Pense-t-il pouvoir gagner ? Sûrement pas. Les joueurs annulent quinze coups plus tard. Idem lors de la dixième et dernière partie du match (qui aurait dû se jouer en douze parties, mais le titre se gagne à 6.5 points), alors que la nulle suffit à Carlsen pour célébrer, être sacré et en finir, Anand propose une répétition de coups que le norvégien refuse à nouveau ! Nulle encore.
Alors, quoi comprendre ? Ignore-t-il que Roi contre Roi font nulle ? Certainement pas. Il n’ignore pas non plus que son aura et sa persévérance sont des facteurs qui se multiplient comme autant de maladies pour ses adversaires qui finissent souvent par succomber contre lui. Il suffit seulement de regarder la sixième partie pour comprendre. Arrive un stade dans une partie, et c’est à mon sens le premier joueur de l’histoire à avoir cette qualité –qui serait une forme de zèle odieux chez d’autres- de savoir non seulement qu’il ne perdra plus, et qu’en plus il saura pousser son adversaire jusqu’au bout, lui posant comme autant de colles auxquelles il lui faudra répondre, sous peine d’être éjecté de l’échiquier. Son aptitude hors-norme à jouer les finales égales lui a valu quelques beaux points au cours des dernières années, contre à peu près tous les jours, et nous n’en sommes qu’au début.

Le train des échecs nouveaux est en marche

Que dire d’Anand cependant ? Le résultat était-il couru d’avance ? J’avoue en toute honnêteté que s’il m’avait fallu miser sur quelqu’un c’eût été sur Carlsen. Parce qu’il gagne tout ce à quoi il participe, parce qu’il sauve les parties mal engagées, parce que les seules positions qu’il perd (sans prosélytisme) sont celles où il pousse trop et s’embourbe. Cela dit, personne n’est sans savoir le style d’Anand, son faste, son génie dans les positions compliquées, son répertoire jadis TRES agressif –qui incluait des Pirc et j’en passe- et à ce titre le combat s’annonçait palpitant. Ce ne fut retrospectivement pas le cas. La formule de douze parties étant très courte, on peut dire que le match n’était pas intéressant. L’explication à cela tient dans le fait qu’Anand n’a osé que trop tard, et qu’après les quatre premières rondes d’échauffement d’usage, Carlsen a joué à sa main. Un peu comme Nadal qui ne sert pas formidablement mais rattrape tout, et arrose au moment venu, après quarante échanges, quand l’adversaire n’y est plus vraiment. Ce même Nadal a en somme un peu déjà répondu à la problématique de Carlsen. Peut-on être numéro un mondial sans service (comprendre, ouverture) ? Une fois par siècle. Le train des échecs nouveaux est en marche, Carlsen le conduit, et il vaudrait mieux pour ses petits copains ne pas trop tarder à aller à la gare poiçonner…

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